Publié le 2025-06-19T23:40:29.142Z
L'élection du premier pape américain en avril 2025 a marqué un tournant inattendu pour l'Église catholique. Mais c'est l'urgence avec laquelle Pope Léo XIV a placé l'intelligence artificielle au cœur de son pontificat qui retient l'attention mondiale. Dès son premier discours au Collège des cardinaux, le 10 mai 2025, il a comparé la révolution numérique à la première révolution industrielle, avertissant que l'IA posait des défis sans précédent pour "la dignité humaine, la justice et le travail". Pourquoi ce pape mathématicien de formation considère-t-il l'IA comme une menace existentielle pour l'humanité, et comment compte-t-il mobiliser 2 000 ans d'enseignement social de l'Église pour y répondre ?
L'arrivée de Robert Francis Prevost sur le trône de Saint-Pierre sous le nom de Léo XIV a immédiatement signalé une nouvelle ère. Né à Chicago, ancien évêque au Pérou et préfet du Dicastère pour les Évêques, ce religieux augustin possède une formation en mathématiques qui éclaire son approche technique des enjeux éthiques. Son choix du nom "Léo" n'est pas anodin : il rend hommage à Léo XIII, pape de la révolution industrielle dont l'encyclique Rerum Novarum (1891) jeta les bases de la doctrine sociale catholique face aux dérives du capitalisme sauvage. Pour Léo XIV, l'IA représente une mutation comparable, exigeant une réponse théologique et morale tout aussi vigoureuse.
Dès son allocution du 12 mai aux journalistes, il a souligné que l'IA exigeait "responsabilité et discernement" pour servir "le bien de tous". Cette position n'est pas théorique : début 2025, le Vatican publiait Antiqua et Nova, un document doctrinal de 117 paragraphes co-signé par les dicastères pour la Doctrine de la Foi et pour la Culture. Celui-ci met en garde contre les systèmes d'armes autonomes capables de "tuer avec une précision autonome", des technologies qui "confèrent à la guerre un pouvoir destructeur incontrôlable". Léo XIV hérite ainsi d'un cadre théologique solide qu'il transforme en croisade morale.
La critique papale ne porte pas sur la technologie en soi, mais sur ses dérives lorsqu'elle échappe au contrôle éthique. Antiqua et Nova identifie trois périls majeurs liés à l'intelligence artificielle qui justifient l'urgence d'une régulation mondiale. Premièrement, la menace contre la dignité humaine. Le document vatican souligne que l'IA risque de réduire les personnes à des "algorithmes", niant leur dimension spirituelle et relationnelle. Les deepfakes – comme ceux ayant déjà ciblé Léo XIV – illustrent ce danger : en créant des contenus manipulés, ils brisent la confiance sociale et avilissent l'image humaine. Le pape insiste : "Aucune machine ne devrait choisir d'ôter la vie à un être humain".
Deuxièmement, le péril pour la justice sociale. Léo XIV alerte sur le risque d'"inégalités accrues entre nations avancées et nations en développement". L'exploitation des minerais africains pour alimenter l'industrie technologique, évoquée par des cardinaux durant le conclave, en est un symptôme. Le pape dénonce aussi les biais algorithmiques qui "créent des discriminations systématiques", rappelant que l'IA "n'est ni objective ni neutre". Troisièmement, la crise du travail. Le pontife compare l'automatisation à la déshumanisation des ouvriers du XIXe siècle : "L'IA pourrait remplacer progressivement le génie humain et sa créativité".
Face à ces défis, Léo XIV déploie une stratégie à double détente, mêlant héritage théologique et action diplomatique. D'un côté, il réactive la doctrine sociale de l'Église. Son prédécesseur François avait ouvert la voie lors du G7 de 2024 en appelant à un traité international sur l'IA. Léo XIV systématise cette approche : il s'appuie sur Rerum Novarum pour défendre les droits des travailleurs face à l'automatisation, et sur Antiqua et Nova pour affirmer que "la responsabilité ultime des décisions doit reposer sur les humains". Le document insiste : seule l'intelligence humaine peut exercer "l'écoute d'autrui, l'empathie et le jugement moral", des capacités irréductibles à des algorithmes.
De l'autre, le pape transforme le Vatican en acteur géopolitique de l'éthique numérique. Dès janvier 2025, l'État de la Cité du Vatican adoptait des "Directives sur l'Intelligence Artificielle" : Interdiction des systèmes créant des inégalités sociales ou violant la dignité humaine, Obligation de transparence sur les contenus générés par IA, Création d'une Commission pour superviser les expérimentations. Cette régulation locale s'élargit à un plaidoyer mondial. Léo XIV reprend l'appel de François pour un traité international contraignant interdisant les "armes autonomes létales".
À peine élu, Léo XIV a subi les assauts des deepfakes – ces vidéos truquées le montrant prononcer des discours qu'il n'a jamais tenus. Cette expérience personnelle symbolise le combat de son pontificat : défendre la vérité et l'intégrité humaine face à une technologie déchaînée. Alors que l'industrie technologique promet une IA "bienveillante", le pape rappelle que les atrocités historiques prouvent "la facilité avec laquelle l'humanité abuse des nouveaux pouvoirs". Sa réponse puise dans la richesse de la tradition catholique : là où Léo XIII défendit les ouvriers contre les excès du capitalisme industriel, Léo XIV se dresse contre la réduction de l'humain à un "fodder for algorithms".
L'enjeu dépise les seuls croyants. En insistant sur la responsabilité collective – "des gouvernements aux citoyens, selon leur âge et leur rôle" – le pape américain offre un cadre universel pour éviter deux écueils : la technophobie paralysante et l'optimisme naïf. Son exigence d'une IA "compatible avec la pleine vocation humaine" rejoint les préoccupations éthiques de chercheurs comme Yoshua Bengio, qui plaident pour un alignement des systèmes sur le bien commun.